Le Gaullisme
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L’EUROPE POLITIQUE : LA FIN DES ILLUSIONS
FACE A L'EFFACEMENT ECONOMIQUE


2005 aura été, pour la construction européenne, une année difficile. En votant « non » au référendum sur le traité constitutionnel de l’Union à vingt-cinq, les Français ont voulu dire leur méfiance vis-à-vis d’une Europe qui s’est s’éloignée d’eux. Le paradoxe est le suivant : il fallait voter « oui » pour mieux arrimer l’Europe à un projet politique ; mais, il fallait aussi voter « non » pour dénoncer la structuration technocratique d’un pouvoir qui, parce qu’il est dissocié des Etats-nations, conduit les pays membres de l’Union européenne à avancer en ordre dispersé dans le labyrinthe des réalités mouvantes de la mondialisation marchande.

Peu importe les raisons contradictoires qui ont conduit une majorité de Français à voter « non », on sait simplement que la carte du « non » coïncide avec celle des territoires en difficulté. Ont appelé à voter « oui », à gauche comme à droite, ceux qui, portés par les médias, s’affirment, sans aucune pudeur, comme les meilleurs et les plus intelligents d’entre nous. Mais, peut-on avoir raison contre le peuple, lorsque, de façon évidente, « Union européenne » ne signifie plus prospérité ? Aujourd’hui, en Europe, domine l’insécurité sociale, alors que nous ne sommes qu’au début d’un effacement économique qui risque de durer. L’Europe semble en effet s’installer dans une longue période de régression économique, alors que « les meilleurs et les plus intelligents », frappés de cécité devant l’accélération de la mondialisation marchande et son lot de déréglementations et de délocalisations, continuent d’affirmer, tel le leibnizien Pangloss, que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ».

Dans sa chronique économique que publie le journal Le Monde daté des Dimanche 25-Lundi 26 décembre 2005, Eric Le Boucher nous montre, à travers quelques chiffres, que l’Union européenne « végète, donc décline » : « La part des Vingt-Cinq dans la production mondiale était de 26 % en 1980, selon les calculs de la Commission (European Economy, Occasional Paper n° 21). Ce chiffre en faisait la première puissance mondiale devant les Etats-Unis (20 %) et le Japon (7 %). En 2003, la part des Européens est tombée à 22 %, celle des Etats-Unis est montée à 21 %, le Japon étant stable, la Chine grimpant à 13 % et l’Inde à 6 %. Si l’on prolonge le cours actuel jusqu’en 2015, l’Union tombe à 17 %, doublée par les Etats-Unis (10 %) et la Chine (19 %), l’Inde obtenant 8 % (les calculs sont faits en parité de pouvoir d’achat). » Pour Eric Le Boucher, qui dénonce l’immobilisme de l’Union dans tous les domaines, en particulier dans ceux de la recherche et de l’innovation, « l’Europe s’efface de la scène économique mondiale à vitesse grand V. »

Les causes de ce recul sont nombreuses. Mais, l’Europe des Quinze s’est construite, solidairement, à l’abri du Mur de Berlin, selon le modèle et les avancées sociales du vieux capitalisme rhénan. Aujourd’hui, l’Europe des Vingt-Cinq, parce qu’elle n’est pas politique, avance en ordre dispersé. L’économie, autrefois facteur intégrateur, selon la volonté de « Pères fondateurs », semble accélérer la désintégration de l’Europe politique. Chaque pays, pour préserver ses intérêts, joue la carte de la mondialisation marchande à coups de dumpings sociaux et fiscaux, ce qui crée des disparités énormes en terme de croissance : l’Irlande est à 5 % de croissance, la Pologne à 3,2, la France à 1,5, l’Allemagne à 1,1 et l’Italie à 0,2. Des affrontements se font jour, en particulier sur la politique agricole commune ou la manière de financer l’élargissement de l’Union.

Peut-on faire de l’Union européenne une zone géographique à l’intérieur de laquelle un développement harmonieux et solidaire de tous ses membres reste possible, malgré les appels à la dérégulation que ne cesse de lancer la mondialisation marchande ? Ou faut-il, pour chaque pays, se contenter de « cultiver son jardin », comme le propose Candide, qui s’inscrit, à la fin du conte éponyme de Voltaire, parmi les contempteurs de l’Optimisme leibnizien ? S’abriter derrière les murs d’un protectionnisme d’un autre âge, sur fond de xénophobie, aura pour effet, face à la mondialisation marchande, de transformer le pays qui se prête à ce jeu en un tigre de papier économique.

C’est donc aujourd’hui que se pose pleinement la question de l’Europe politique. Est-il encore possible de construire cette Europe politique ? Sur quel projet économique ? Faut-il choisir le modèle anglo-saxon, formidable machine à produire de la richesse mais aussi à accroître la profitabilité des entreprises par la compression des salaires et les délocalisations ? Ce modèle considère que le marché est capable d’autorégulation, ce qui le conduit à accepter, dans un premier temps, selon les lois du « darwinisme (1) économique », le creusement des divergences entre les pays membres. Doit-on, au contraire, tenter de préserver le modèle allemand qui, voilà soixante ans, a inventé l’économie sociale de marché, alors qu’aujourd’hui, ce modèle se désagrège ? La troisième voie qui se dessine, celle de la « flexisécurité » (2) à la danoise, est-elle viable ?

L’ordre de ce début de XXIè siècle, s’il ne se construit plus sur l’hypothèse d’un affrontement militaire entre des Etats qui, aujourd’hui, se congratulent ou une opposition frontale des idéologies, se déroule selon le scénario tout aussi oppressant d’une guerre économique. Deux faits nouveaux viennent contrarier nos certitudes : l’Occident, y compris les Etats-Unis, apparaît, face à l’Asie, comme un monde en déclin et l’Europe n’est plus le centre de gravité de la scène économique et politique mondiale.

Paradoxalement, si l’Europe politique et économique est en panne, elle parvient à affirmer son existence dans les enjeux stratégiques de notre époque. Aucun membre de l’Union n’étant plus capable de porter seul un grand projet technologique, Ariane, Airbus, Iter, Galileo et Quaero (moteur de recherche destiné à concurrencer Google) sont autant de projets et de réalisations à dimension européenne qui assurent à notre continent un rayonnement mondial. Système de navigation par satellite, Galileo permet de concevoir l’existence d’une défense européenne autonome, même si les Anglais, qui ne veulent pas concurrencer le GPS américain, souhaitent que l’utilisation du système soit limité à des fins civiles.

En même temps, alors que la Roumanie s’apprête à rejoindre l’Union, on s’aperçoit que l’Europe délaisse la mer Noire, pourtant une région clé pour sa sécurité et ses approvisionnements énergétiques, puisqu’elle constitue sa nouvelle frontière orientale. Le nouveau président roumain, Traian Basescu, se tourne délibérément vers les Etats-Unis et l’Alliance atlantique pour permettre à son pays de répondre aux défis du XXIè siècle : prospérité économique, sécurité… Quant aux Etats-Unis, ils considèrent que la Roumanie s’inscrit dans le dispositif de reconfiguration de l’Alliance atlantique.

A l’évidence, l’élargissement de l’Union européenne pose aujourd’hui plus de questions qu’elle ne résout de problèmes : frontières, choix du modèle de développement économique et social, financement, politique commune de défense, sécurité, partenariats élargis, etc. Toutes ces questions, nous aurons en débattre au sein du Club Nouveau Siècle, afin que l’Europe ne se réduise pas à un vaste marché soumis aux lois du commerce excessif et dont la seule ambition serait l’extension infinie de ses frontières.

(1) Darwin Charles (1809-1882) : naturaliste britannique, fondateur de la théorie de l’évolution biologique, qui définit la sélection naturelle comme « la persistance du plus apte ». Il n’est pas étonnant que cette théorie biologique voie le jour dans le monde anglo-saxon, Darwin ayant sous les yeux cette dialectique de la vie et de la mort des entreprises dans un monde concurrentiel. La métaphore du « darwinisme économique » illustre l’idée selon laquelle les entreprises les plus fortes s’adaptent à leur environnement, alors que disparaissent les plus faibles.

Moins protéger l’emploi, mieux protéger les salariés, telle est la définition de la « flexisécurité ». Contre des licenciements facilités, les salariés se voient offrir une meilleure indemnisation sur une période plus courte, une véritable formation pour un retour à l’emploi et un suivi personnalisé.


Christian GAMBOTTI





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